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Lecteur.

Lecteur

 

 

 

 

 

Un homme extrêmement dangereux s'apprête à sévir sur la planète. Il se nomme Yukiyasu Kamitani. Si je me donne la peine de recopier un nom aussi étrange à mon oreille, c'est que l'affaire est d'importance. Cet homme est neurologue à l'Institut de recherche avancée sur les télécommunications à Kyoto. Que nous prépare-t-il ? Ni plus ni moins qu'un lecteur de cerveau humain. Il nous explique en toute innocence, dans la revue Neuron, qu'il a réussi, grâce à un « programme informatique capable de reconstituer la forme des lettres à partir de signaux électriques émis par la cervelle de volontaires » à déceler le mot « Neuron » que ces derniers étaient précisément en train de lire.

 

Je passe bien entendu sur les quelques détails techniques qu'il nous livre, mais il faut savoir qu'il s'attaque dès à présent à la reconstitution d'une image, observée par le cobaye, ou imaginée par lui. Nul doute qu'il parvienne ainsi, une de ces quatre aubes enchanteresses dont je jouis sans même me douter de la catastrophe qui s'annonce, à lire toute image mentale que nous formons à l'insu de notre plein gré consentant.

 

Je ne me fais guère de souci cependant quant à l'utilisation qui pourra être faite de ce genre de lecteur de cerveau. Après tout, cela ne peut inquiéter que les personnes qui auraient de sombres secrets et intentions à celer, ce qui n'est pas réellement notre cas.

 

Mais ce qui me glace, moi, et à supposer que ce lecteur de cerveau soit commercialisé en supermarché, c'est que la tentation me prenne, non pas de lire dans mes propres pensées, puisque je les distingue très bien, il me suffit de les penser, mais que je puisse en revanche lire dans mon subconscient, dans lequel actuellement je ne lis rien, mais rien du tout, en tous cas pas plus qu'un illettré dans le Code de Procédure Pénale, pour la bonne raison que justement, il n'est pas conscient, j'avoue qu'il y a de quoi être épouvanté, même pour un ange du ciel puceau jusqu'aux yeux. Comment ! Voilà un type (c'est de moi qu'il s'agit) voilà un type qui se prend pour la probité personnifiée, qui règle sa conduite sur ce modèle hautement euphoristique d'estime-de-soi et de bonne conscience, qui s'efforce de n'écraser pas la moindre mouche innocente en s'asseyant, qui s'interdit - et il a bien du mal – la plus petite mauvaise pensée ou concupiscence déplacée dont il se détourne aussitôt, un type à qui l'on donnerait d'office le bon dieu sans confession aucune pour bons et loyaux services, et que l'on mettra brutalement face à lui-même, à son ça, à son moi, son surmoi, aux créatures démoniaques qu'il héberge sans même qu'il s'en doutât, aux draculismes sataniques et incubes infernaux que seuls un esprit à la détraque pourrait former...tiens, je ne sais même plus comment achever une phrase aussi longue tellement l'indignation m'étouffe !

 

Car enfin, si comme l'indique Lacan, l'inconscient est structuré comme un langage (il a peut-être dit ça pour faire son intéressant mais reconnaissons quand même et pour le moins que le rêve est peuplé d'images), alors le lecteur d'inconscient devient possible, réel, prêt à désigner à la publique vindicte d'un doigt vengeur et justicier le pauvre bougre qui ne savait même pas sa dépravation.!

 

Lire les pensées conscientes, n'importe quel bon lecteur de cerveau peut le faire. Mais lire l'inconscient devient possible aussi, il suffit d'étalonner sur la bonne fréquence un lecteur de cerveau ordinaire !

 

Voilà donc bonnes gens et innocents rêveurs, ce que nous prépare Yukikaïda Kamikazé quoi que son nom signifie. Mais qui sait de quelles horreurs mon inconscient peut être peuplé ! Ne vais-je pas errer le reste de mes jours, livide d'épouvante et perclus de remords, la libido en berne du dégoût de moi-même, pour m'enfermer enfin tel Caïn fuyant l'oeil au fin fond d'un tombeau après être passé au lecteur d'inconscient ? Et que dire de l'inconscient populaire ! Le bon peuple sanctifié ne sera-t-il plus qu'une populace avinée, un ramassis de pourceaux d'Epicure, un troupeau libidineux de bambocheurs égarés, une race inique de crapulage et dévergonderie, une scabreuse république d'obscènes immatriculés, avec son inconscient ouvert et pantelant sous le scalpel ?

 

Je vous le dis, nos irresponsables fouineurs d'inconscient vont nous mettre le conscient dans un tel état de délabrement qu'il ne nous sera même plus possible d'aller à la pêche d'un air dégagé sans frôler les murs. Oh mon dieu, arrachez-moi vite à ce monde capable de produire des êtres aussi tordus, aussi éloignés du ciel de l'innocence que l'est l'éponge du marteau-piqueur. Quoi ! Essayez de marteau-piquer avec une éponge.

En taule, Yamamoto kadératé ! Empêchons-le de dévaster l'humanité pensante. Ou alors, je ne réponds de rien.

 

 

L'humour est la respiration du sérieux, 

il signe notre supériorité sur la pesanteur du réel. (Trouvé dans le caniveau).

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