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avistodenas.over-blog.com

Puits.

 

 

Dans lequel Avistodenas descendit au fond de lui-même, à l'aide d'une échelle.

 


Puits.         Episode I/4

 

L'observateur attentif remarquerait sans doute dans la cour goudronnée, au sol, une légère dépression circulaire, d'un mètre de diamètre, à l'intérieur de laquelle le sous-sol semble se tasser au fil du temps. Ou plutôt un fantôme de forme cylindrique. Escornufleur comme on me connaît, ce phénomène ne m'a pas échappé vous pensez bien. Mais vous savez aussi que dans la vie, on a souvent autre chose à faire que de s'attarder à ce type de bizarrerie. A moins que l'on passe et repasse vingt fois par jour sur cette dépression minime et circulaire d'un mètre de diamètre. Un mètre pile. De diamètre. On finit même par y camper dessus, et la regarder de plus près. Un petit enfoncement de rien du tout, là, au milieu de ma cour. Rien. Aucune piste d'interprétation. Ce n'est pas une météorite, c'est sûr. Pas non plus un vieil arbre, qui aurait disparu. Ou quoi encore...  Mais Avistodenas, sois pas con, tu vois bien qu'il s'agit d'un ancien puits comblé, tout simplement. Bingo ! Vous venez de gagner deux kilos de ciment ! Il s'agit en effet d'un ancien puits comblé ! La suite le montra bien. Fin du suspense, rallumez les lumières. Enfin presque.

Alors là, ça commence à gigoter, dans ma petite cervelle d'anthropopythèque. C'est même très curieux : cette petite dépression d'à peine un mètre de diamètre commence à m'attirer comme le miel le plantigrade. Elle me bouffe tout mon espace mental. Je tourne, vire, grattouille, bref, l'ancien puits finit par me voler mon sommeil. J'y pense même au plumard, au lieu de dormir. Bon et alors, il s'agit d'un ancien puits, c'est tout. Pas de quoi se lever la nuit pour se préparer une fondue...

Et dire que juste sous mes pieds, un type, un jour, a décidé qu'il y avait de l'eau là-dessous, et qu'il irait la chercher ! Alors je vais vous murmurer : rien de tel pour m'enflammer l'imaginaire. Pour me mettre pépin en tête. Et quand je m'empépine sur quelque chose, y a pas, il faut que je sache. Sinon, j'ai les abeilles. Comment a-t-il creusé son puits, cet antécesseur de plusieurs siècles probablement ? Et si un puits a été creusé, il a dû servir un certain temps. S'il a été comblé, c'est qu'il ne sert plus depuis lurette non plus. Ce puits a une histoire. Obscure. Sans grade. Oui mais laquelle ? Une maison ne peut vivre sans eau...

Tenez, un jour, j'ai dû abattre un chêne mort, dans le jardin. Il avait été tué par les hannetons, ou autres lucanes et capricornes. Et bien sûr, j'ai compté les cernes. 1864. C'est l'année de sa naissance. Le puits existait-il déjà, en 1864 ? Probablement. Les bâtiments aussi, sans doute, vu leur style... Profondément restaurés, mais quand même, j'ai l'oeil, pour ça.

Comment creuse-t-on un puits, avec les moyens de l'époque ? Je suppose qu'il faut s'y mettre à deux. Même pour un petit puits. Un au fond, qui creuse, qui burine le roc, si roc il y a, ou qui bâtit et consolide si roc il n'y a pas, et un compère en haut pour extraire la terre à l'aide de seaux ou de paniers, et qui l'évacue car j'ai idée, quand même, que cela représente quelques mètres cubes. Et pourquoi, après un siècle ou beaucoup plus, de bons et loyaux services, après que le type qui l'a creusé et même ses descendants soient venus jour après jour tirer leur eau pour les besoins du ménage et ceux des animaux, quelqu'un décide-t-il, un jour, de le reboucher ? Parce que pour moi, soyons clair, c'est criminel. C'est un acte de sabotage. Même si l'adduction d'eau de ville remplace avantageusement le puits. Peut être alors ne donnait-il plus d'eau...? On n'est pas en train de rejouer Manon des sources, pas ici, où l'eau ne manque pas vraiment sauf pour arroser l'été, mais enfin tout de même, un travail, c'est sacré, ça se respecte, quelqu'un a bien dû suer sang et eau pour le creuser. Ca ne vous enflamme pas la dure-mère, ça ? Moi si.

C'était donc au cours du fameux été de grand calorinal. Une chaleur à crever. L'été de mes soixante ans. A soixante piges, on a tout le temps de se poser des questions sur une petite dépression d'un mètre de diamètre qui ne ferait tiquer personne de normalement constitué. On se pose des questions du genre : Est-ce que j'en serais encore capable ? Capable de quoi... Ben de re-creuser le puits tiens ! Pour voir. Est-ce que j'en suis encore capable, de me farcir un boulot, dans les mêmes conditions que les mecs de l'époque... Ils étaient quand même vaillants, non, ces mecs ! Aujourd'hui c'est simple : tu t'équipes des moyens de forage et tu descends à 200 mètres en appuyant sur un bitoniau. Mais à l'époque tu as quoi... une pelle, une pioche, une massette, un burin, des paniers, des cordes... et puis quoi d'autre. Rien. A la rigueur une poulie, fixée à une chèvre. C'est sûr ils étaient deux. A deux, on s'encourage, on se  passe la gourde. Moi je suis seul, avec ma gourde. Mais non, pas ma gourde ! Pour boire, la gourde, hé patate. Et donc je dois être en bas, et en haut à la fois. Au moins, quand je serai en haut, je ne risque pas de me balancer un parpaing sur la tête, puisque je ne suis pas en bas. Allez chiche. Je me re-creuse le puits, mais tout seul. Non. Si. Mais non. Mais si. Juste avec mes menottes. Et sans poulie. Mais non. Mais si. Que du rustique. De l'élémentaire. Allez vas-y, ce sera ton propre cadeau d'anniversaire que tu te fais à toi-même pour tes 60 piges. Tu sauras au moins si tu es pourri ou pas ! Et puis, ce qui me tente en sous-main, c'est peut-être bien de ressusciter un moment de la minuscule vie de celui qui creusa ce puits... Lorsque j'aurai soif...il avait soif, ce type que je ne connais pas...

- "Quououaaaahhh ?"  Ca, c'était compter sans mon épouse ! Mais tu es marteau ! Et si tout te dégringole dessus !

- Paix, femme ! Fais-moi confiance. J'assure. (Je remonte mon ceinturon, pour bien montrer que dans le pantalon, y a l'homme).

Et voilà comment, petits veinards, demain vous pourrez lire de quelle façon enlevée et magistrale... - oui, enfin... j'ai quand même passé...des moments plutôt durs...dirons-nous -  j'ai re-creusé, l'été du grand calorinal, un puits qui s'était endormi pour les siècles des siècles, et ce fut mon propre cadeau d'anniversaire, fait par moi-même à moi-même. J'ai toujours aimé me surprendre par des cadeaux à la con. "Ah ben ça, alors, si je m'attendais ...!"

Cela pourrait n'être pas triste...

 

L'humour est la respiration du sérieux, 

il signe notre supériorité sur la pesanteur du réel. (Trouvé dans le caniveau).

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 Puits - Episode 2/4


...Me voici à pied d'oeuvre. Ah ah ! La journée risque d'être belle. Belle, mais chaude. Ouverture de chantier par une séance de cracher dans les mains. On n'a pas son petit sac de talc à la ceinture comme les athlètes n'est-ce pas, alors on fait avec les moyens du bord. Et tout de suite je me rends bien compte que dans un trou d'un mètre de diamètre, les manches de mes  premiers outils vont être bien trop longs. Ils vont cogner contre les parois. Ca énerve. C'est déjà un peu juste pour jouer des coudes...je les scierai donc à la bonne dimension, allons ! D'entrée, on commence à jouer aux sept nains, à la claustrophobie tombale.


Après avoir dégagé les cinquante premiers centimètres d'épaisseur, je trouve illico la paroi du puits. Elle est en briques pleines, liées par un mortier de sable argileux. Pas de chaux, rien. Vraiment à l'ancienne. C'est de l'authentique. Seulement, les premiers rangs de briques (ou les derniers si l'on se place dans le sens de la construction) sont passablement amochés et disjoints . Je descends donc à un mètre et procède immédiatement au coffrage des premiers lits de brique (ou des derniers) que je consolide d'un mortier de ciment. Voilà. Ca me protègera la calbombe des chutes d'objets malintentionnés ou en équilibre instable. Excellent boulot, pour l'époque, le cercle est presque parfait, à deux centimètres près. Oui, bon, je sens que si je commence à tout commenter, mon texticule va prendre des allures de chronique. La chronique du puits. Il me faudra plus de temps pour le raconter que pour le creuser. Et puis... vous n'avez pas que ça à faire non plus. D'un autre côté, pour comprendre la startégie, il faut bien expliquer le champ de bataille sinon, on entrave que pouic. En même temps, mesdames et messieurs, c'est « mon » puits n'est-ce pas ? Vous n'allez quand même pas me le prendre. Je me demande bien où vous l'emmèneriez d'ailleurs. Et puis c'est bien moi qui ai décidé d'ouvrir le bal. Alors observez de loin pour les plus timides, et laissez-moi faire.

Donc, me voilà vraiment engagé : les deux premiers mètres de profondeur, c'est de la rigolade, pas besoin de monter-descendre. Sauf pour évacuer les gravats à la brouette. Brouette à roue gonflable ! Vous ne voudriez pas qu'en plus, j'utilise une brouette d'époque à roue ferrée.  C'est immonde. A la fin de la journée, bien chargée, elle vous pète les épaules et les reins. J'ai un copain... bon de toute façon, il est mort, alors.... Et puis, vu que c'est moi qui pousse, je fais ce que je veux. Là ! Alors si vous avez chez vous une brouette à roue pleine, débarrassez-vous de cet immondice, et prenez une roue gonflable. C'est par les petits détails qu'on se facilite le boulot.


Oui oui, j'avance. Je creuse. Une minute quoi. Cracher de mains. Je n'ai pas fixé de délai d'exécution quand même. Ni ne suis à la tâche. Pas besoin de me mettre la pression. Surtout que je dois évacuer les gravats assez loin. Mon jardin n'est pas une poubelle, non plus. En plus je dois les trier, les gravats. Et il y a quoi, dans les gravats ? Eh bien tantôt du vieux terreau de feuilles, que je récupère pour mes massifs, tantôt de la terre franche, mêlée de caillasses, de briquaillasse, de tuilasse, enfin tout quoi, on y a mis de tout sans discernement, comme un brouillon, mais je remarque finement, fixé contre la paroi, un tuyau en fonte. Pas du tout-venant hein, de la fonte. Lourde. Non, pas Lourdes, lourde, pesante, pondéreuse. Et stupeur, mon tube de fonte n'est pas bourré de terre. Il est libre. Oui libre. De sorte que lorsque j'y introduis une tige de fer à béton de six mètres de long, ça descend, ça descend... Ca descend toujours. Et mon puits mesure donc plus de six mètres de profondeur ! Et il y a de l'eau. Dans le tuyau en tous cas ! Dans le puits j'ignore, il est bourré, alors l'eau, allez savoir. C'est sûr, dans le tube d'aspiration, il y a de l'eau. Et en rallongeant ma tige de fer tors, je descends à 7 mètres. Après, ça bute. Donc mon puits fait au moins 7 mètres de profondeur. De la rigolade. A mon rythme actuel, en trois jours c'est plié. Enfin, un peu plus, monter-descendre... Ca fait les abdos.


Hé hé ! Bel optimisme.Je redouble d'ardeur ! Je m'en vais te le débourrer, ce puits, en moins de temps que pour me siffler l'anisette ! Je pense déjà au prochain puits que je vais curer, tiens. Vous avez un puits à désengorger ? Appelez Avisto. Surtout que j'ai déjà tous les manches d'outils sciés à la bonne dimension. 80 cm hors tout, outil compris. Pas plus. Mais pas moins. Il faut quand même pouvoir faire levier, sinon, vous n'avez plus que les ongles et les dents pour travailler.
Ah ne rouspétez pas hein, je ne vais pas assez vite et mon format texticule est déjà explosé. C'est sûr, je n'ai pas opté au départ pour un format épopée. Mais je ne savais pas non plus que je vous raconterais mon puits. Il faut bien j'explique non? Sinon vous n'allez rien voir. Si je raconte, c'est pour vous montrer comme si vous y étiez. Et sans vous fatiguer.  D'ailleurs vous ne verriez rien parce qu'au fond, il fera presque noir, il faudra que je descende une lampe pour voir où je tape. Si je ne descends pas la lampe, vous aller vous piocher les pieds. Et vous direz : "Cet Avisto, alors, quel bordel !" Donc il est quand même un peu normal que j'explique. Oh mais vous me remercierez seulement à la fin. Parce qu'il y a des trucs à voir. Tiens, devinez sur quoi je tombe, là, à l'instant, à deux mètres cinquante de profondeur. Vous allez rire. Allez, je vous le dis ? Hein ? Je vous le dis ? (Avisto, le roi du suspense estomaquant. Je me fais saliver moi-même). Mais non, pas un cadavre. Je serais obligé d'interrompre et d'appeler les flics. Allez, je vous le dis : je tombe sur une faucille et un marteau. Texto. A vingt centimètres l'un de l'autre. Totalement rouillés bien sûr. Et avec juste le reste de ce qui furent des manches. Comme quoi, hein ? Quelle prémonition, celui qui les a jetés là ! Peut-être était-il anti-collectiviste ! Peut-être rentrait-il juste du goulag ? Ou peut-être avait-il lu Soljenitsine... Ou alors c'est un pur hasard et c'est moi qui suis atteint du délire des profondeurs...


Bon écoutez, quand on sera au fond, vous n'aurez qu'à imprimer les texticules afférents à la chronique du puits à la queue-leu-leu et vous aurez la chronique entière. Je ne peux pas faire mieux. Déjà que c'est moi qui creuse.

 

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 Puits - Suite III


... Au moment de réattaquer, je réalise que si je continue de détailler le puits, on va se retrouver avec un bouquin entier. Et ce n'est pas le but. Donc, nous allons opérer une plongée de 3 mètres en passant du niveau -2 mètres, au niveau -5 mètres, que je résumerai par ceci : j'ai extrait de ces 3 mètres d'épaisseur, en vrac mais bien compactés, la charpente du puits (il était donc couvert), mais pas les tuiles entières (elles ont dû être récupérées et si ça se trouve, elles sont à présent sur la toiture de la grange), la margelle du puits, avec des moellons de pierre deux fois plus lourds que moi, le corps de pompe en fonte, qui faisait bien lui aussi ses 80 kilos bon poids, tout ça au bout de la corde, et ho hissez haut. Le tout enchevêtré bien sûr avec de la terre et des pierres de tout venant. Et on se retrouve devant – ou plutôt sur – un gros bouchon constitué d'une clôture en fil de fer barbelé qui enserre toute sorte de gravats, terre, cailloux, une quantité effarante de tessons de bouteille à croire que l'un des proprios qui m'ont précédé tenait bistrot, et un bon paquet d'objets poubelloïdaux. Bref, toute une parafernaille ligotée de barbelés que je ne sais plus par quel bout prendre. Je vous jure, j'ai failli pleurer rien qu'à l'idée de comment j'allais m'en dépatouiller...de ce béton armé.


Mais il faut tout de même que je raconte comment je m'y suis pris pour être à la fois au fond, et en haut, car c'est la question que vous avez oublié de me poser ! Alors, je ne vais pas vous laisser supputer davantage : c'est très simple, regardez bien . D'abord, je me suis fabriqué une échelle de corde. Une longue corde (neuve, pas une rognure de cordasse à moitié pourrie puisque j'allais remettre ma vie entre ses brins), repliée sur elle même, à laquelle j'insérai en guise d'échelons des bouts de fers à béton tous les 40 cm d'espacement, les deux extrémités de la corde étant nouées au tronc d'un chêne maousse, non loin de là (dont d'ailleurs j'eus à couper des racines qui s'insinuaient à l'intérieur du puits), le reste de l'échelle pendant librement dans le trou. Il me suffisait donc d'ajouter des échelons à mesure de ma descente. Mais sous mon poids, les noeuds se resserrant et la corde s'étirant, je me suis très vite retrouvé avec des barreaux espacés de 70 cm, ce qui transforma bientôt mes ascensions en exercices d'escalade. Tant pis pour ma frite, je n'avais qu'à prévoir, hé Ducon !


Pour l'extraction des matériaux, c'est très simple aussi : je descendis des grappes de cinq seaux au bout d'un crochet. Puis je me descendis moi-même bien sûr. Comme les cinq seaux occupaient tout le fond du puits et que je n'aurais donc su où mettre mes pieds, et encore moins travailler, je fixais à mesure du déblaiement des chevillettes à la paroi du puits, auxquelles je suspendais l'anse de mes seaux pleins... Il me suffisait ensuite de me remonter moi-même, de choper l'anse de chaque seau avec un crochet au bout d'une corde - exercice de visée – et de hisser haut, comme dans la chanson, sauf que j'économisais mon souffle. Tout ça par quarante degrés à l'ombre, soi dit en passant.


Compris ? A chacune de mes remontées, je hissais donc un volume de 50 l de matériaux, soit l'équivalent d'une brouette à deux roues, pleine. La brouette, pleine. Les roues, gonflables. Toujours. Si vous avez une brouette à roues pleines, débarrassez-vous en...ah mais ça y est, je l'ai déjà dit.


Maintenant que vous avez mordu le topo, que vous avez une claire conscience de ma façon de procéder, il ne vous reste qu'à me suivre, monter, descendre, monter, descendre... Et là, tout d'un coup, le vrai, l'immonde, l'horrible cauchemar : un bouchon d'un mètre d'épaisseur constitué d'un amas de fil de fer barbelé enchevêtré, une vieille clôture d'au moins cent mètres jetée là-dedans, et qui enserre entre ses piquants redoutables un non moins redoutable paquet de tessons de bouteilles, pris dans la terre et les caillasses, toujours et encore... Un bouchon d'au moins deux tonnes !!! A l'estime. A visto de nas.


Si tu as encore des larmes, ô lecteur, garde-les pour plus tard. Car ce sera bien pire. Mais qu'est-ce qui m'a pris bonté divine de seulement regarder cette petite dépression de rien du tout à la surface du sol au lieu de rester bien tranquille dans mon rocking-chair, sous la tonnelle, à siroter mon anisette fraîche et à lire mon canard ou même tiens, à tricoter c'est pas plus con hein. Deux tonnes, le bouchon, dis donc. Pas question de l'arracher avec mes petits bras et ma cordelette. Hisse et ho mon cul. Même à quatre. Même à dix.


Trois jours... Trois putains de jours entiers, en bas, que j'ai trimé, à le décortiquer à la cisaille à fer et à la petite cuillère, cet enfoiré de sa race maudite de bouchon ! Et tout ça, bien trié à la sortie : le fil de fer barbelé avec le fil de fer barbelé, les tessons de bouteilles avec les tessons de bouteilles, les pierres avec les pierres, la terre avec la terre, heu...l'échelle avec l'échelle, les seaux avec les seaux, moi avec moi... Bref, tout propre quoi.


Ah nom de dieu le soulagement, parvenu au bout du bouchon barbelé, entessonné, compacté ! Il ne manquait plus qu'une bombe de la dernière guerre tiens. Et justement...!!! Non, je déconne. Pas de bombe. Pire qu'une bombe. Mais celle-là, je vous la réserve pour le dernier épisode. Enfin j'espère que tout y contiendra car nous n'en sommes qu'à 6 mètres, et je n'ai encore pas vu la couleur de l'eau. Il faudra bien que je montre aussi la description du puits fini, et la stratigraphie des couches de terrain traversées, le régime hydraulique du puits, enfin tous les trucs intéressants pour quoi au fond je me suis lancé dans cette mission  historique d'archéologie potagère.


Que l'on se rassure quand même, je n'ai pas essuyé une seule égratignure. Vu les conditions d'hygiène qui régnaient là-dessous dites... Que j'aurais pu choper la cuscute tétanique et le staphylocoque des profondeurs. Oh mais, on en verra d'autres allez. Vous voyez, c'était pas la peine de pleurer !

 

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 Puits - suite IV

...Nous voici donc rendus au niveau -6 mètres. Niveau de référence : la surface du sol bien entendu. Pas le niveau de la mer. Je rappelle que j'habite en haut d'une colline. Il s'agit donc d'un puits collinaire, pour comprendre le fin mot de l'histoire. Eté caniculaire, je rencontre donc un peu de fraîcheur au fond du trou. Mais la fraîcheur devient vite un peu humide, ce qui est bon signe pour qui cherche de l'eau. Et le fait est que par mon agitation, la fraîcheur ne dure pas : il règne au bout d'un moment au fond du trou un climat équatorial. Mais j'ai décidé de ne pas me laisser décourager et lorsque Avisto prend une décision, même les soixante douze vierges du paradis en string ne sauraient le détourner de son but. D'abord j'ai fait voeu de chasteté pour quelque temps pour la raison que vous allez découvrir.


Donc je re-commence à défoncer et pelleter une terre assez banale, largement truffée des objets les plus hétéroclites, notamment les éternels tessons et débris de poteries, mais j'observe toutefois que cette terre devient noirâtre et qu'elle commence à dégager une singulière pestilence. Comme je n'ai pas d'ennuis gastriques et que je n'abuse pas des fayots à la louche, je me dis que quelque chose doit fermenter. J'allume mon briquet, la flamme ne s'éteint pas. Bon, c'est déjà ça. Rien n'explose non plus d'ailleurs. Et plus je descends (je suis à sept mètres maintenant) plus la terre noircit, devient huileuse, mais d'une huile comme émulsionnée d'avoir été longtemps mélangée à l'eau et à la fange. Je branche alors la lampe car il commence à faire sombre dès que le soleil n'est plus au zénith. De manier et d'extraire tous ces matériaux, monter-descendre, je suis carrément noir dégueulasse et même la douche que je m'octroie régulièrement a du mal à me débarrasser de cette substance pégueuse. Je sais, vous commencez à deviner. Moi aussi. Parvenu à huit mètres de profondeur, je patauge dans l'eau. Mais alors quelle eau !  Oh bonté divine qu'est-ce qu'elle pue ! Une eau noire comme elle doit couler dans les rivières de l'enfer. S'il se trouve des rivières en enfer. J'ai trouvé du pétrole. Hé oui, c'est bien ça ! Vous avez deviné : le fils de pute a balancé ses huiles de vidange dans le puits. Il a dû y vidanger tous ses tracteurs et ses bagnoles l'enfoiré, plus de cinquante litres à l'estime, qui ont macéré là, imprégné les parois et tout ce qu'elles ont baigné. Peut-être même contaminé les filons d'eau qui alimenteraient le puits, si ça se trouve. Bientôt, même mes bottes se remplissent de ce jus fétide, mais je les garde aux pieds pour me protéger des tessons et des objets cisaillants. Lorsque j'en aurai fini, j'aurai gagné une paire de bottes neuves, au moins. Celles-là sont à jeter.


Bon, j'ai compris. Je suis en train de remonter en surface une pollution qui aurait dû rester enfouie. Ni une ni deux : je creuse à quelque distance, et pour ne pas empuantir les alentours, une excavation dans la terre que je tapisse de plastique noir bien étanche. J'y déverse mes saloperies et avec la chaleur qu'il fait, évaporation aidant, tout ça va se solidifier, et j'aviserai alors ce que je dois en faire. En tous cas, je neutraliserai.


Bon, vous me suivez ? On redescend. Comment ça, non ! Vous préférez rester la-haut ? D'accord, je rigolais... Bientôt, j'ai les roubignolles qui baignent. Eh oui, qu'est-ce que vous croyez ! Si on m'avait dit qu'un jour j'aurais la bite baignant dans l'huile de vidange usagée, j'aurais de suite changé de métier. Mais c'est bien ma faute. J'aurais pu l'éviter. En réfléchissant un peu. Mais je vous dirai ça plus loin. Oui je sais, les conseilleurs hein... Après coup ils sont très forts, là, bien installés dans leur fauteuil de conseilleurs. En même temps, excusez-moi, je n'ai pas réuni mon staff pour réfléchir aux situations de crise ! Attendez, on va se marrer : je vais dire à mon épouse de me la nettoyer. La bite bien sûr. Non allez, quand même... je préfère me la nettoyer moi-même. Au tampon Gex s'il le faut. A la paille de fer. A la lime à ongles. Au décapant industriel... Le chalumeau non. C'est exclu. Quelque chose me dit.


Bon ben c'est pas tout ça. Faut revenir au chagrin. Je vais l'avoir mon putain de puits. Et jusqu'au fond !  J'ai l'eau, donc le fond n'est pas loin. Hardi petit, pense à la patrie. Quant au bâtard enfant de salaud et fils de pute borgne qui a fait ça, il doit être mort depuis longtemps. Bien fait. J'espère qu'il a souffert.


J'aurais trouvé une bombe, là d'accord, j'appelais les services de déminage. Quant à leur expliquer pourquoi je débouchais ce puits, alors là... J'aurais trouvé un cadavre en décomposition... non c'est pas possible. Il n'en serait resté que des ossements. Noircis. Mais là, une marée noire, voilà ce que je trouve. Hé bien j'eusse préféré les options précédentes. Encore qu'une bombe, si j'avais tapé l'amorce  à la pioche ! Je n'avais plus besoin de me les nettoyer, je partais comme une fusée. (J'aime me faire peur).


Oh mince, c'est déjà l'heure !  On cause, on cause... Bon, je vais me blanchir mes affaires et je vous continue ça demain. A ben oui, va falloir vous y faire ! Dorénavant, jusqu'au fin fond, c'est ça : dans l'huile de vidange jusqu'aux joyeuses. Maintenant vous pouvez pleurer.

 

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Puits - suite et fin.


...Dans ma petite tête de blaireau, j'imaginais qu'un puits était toujours alimenté par une nappe. Ou un ruisseau souterrain. Eh bien il n'en va pas toujours ainsi, surtout dans le cas d'un puits collinaire. Et lorsque j'eus de l'eau, pardon de l'huile, jusqu'à la ceinture - les burnes étaient immergées depuis longtemps - je m'avisai tout de même qu'il fallait tenter de l'extraire pour poursuivre mes travaux avec plus de commodité, autrement qu'en apnée. Bien m'en prit : en effet, mon puits donne très peu. J'ai mesuré son débit : 100 à 120 litres par jour, soit 5 litres à l'heure. Il me suffisait donc de le vider de sa flotte-huile pour avoir largement le temps de bosser. Et c'est ainsi que je suis parvenu au fond, à -9,20 mètres très exactement, que j'ai pu nettoyer ses parois au jet sous pression, et le vider jusqu'au dernier gobelet de camping. Non non, n'applaudissez pas, songez plutôt que 5 litres d'eau par heure, c'était le bonheur en un temps pas si reculé que cela. 5 litres ! Vous rendez-vous compte ? Lorsqu'il nous en faut deux ou trois cents par jour, pour les plus raisonnables d'entre nous. C'est ainsi que dans mon puits, l'eau s'accumule par suintement. C'est la roche qui l'exhale, comme une transpiration. C'est à dire qu'une fois vidé du mètre cube qu'il contient, il faut huit jours pour que la réserve se reconstitue. Il donne trois fois rien, ce puits. Un trois fois rien suffisant pour que des générations en aient vécu.


Les trois premiers mètres du puits furent bâtis de briques pleines, pour maintenir un sol friable, et les six derniers mètres creusés dans une roche sableuse, une sorte de grès compact et de bonne tenue. Imaginez, si je le connais par coeur !


Aujourd'hui le puits est équipé d'une pompe qui me tire mes 100 litres jour, et qui arrose en goutte à goutte par gravité un petit massif d'à peine dix mètres carrés. Mais je m'en fous. J'ai rendu justice à celui qui l'a creusé, ce puits. C'est très symbolique tout ça. Heureusement j'arrose mon jardin avec les eaux de pluie récupérées de toutes les toitures et d'un lac de retenue. Je fréquente même d'autres puits beaucoup plus généreux (On fait appel à moi. Vous pensez, maintenant que je suis dans un puits comme qui dirait chez moi !)


Ben oui ! C'est fini !  Enfin, pas tout à fait. Je ne vais pas vous lâcher dans la nature comme ça !
Le dernier jour, décidé à en finir avant que l'eau ne reprenne possession du puits, j'ai travaillé tard et la nuit m'a surpris au fond. Levant les yeux pour une ultime remontée, j'ai vu, tout là-haut, un cercle parfait allumé d'étoiles. Comme si je tenais le ciel au bout d'une longue-vue. J'éteignis ma lampe. Je fus alors saisi d'un sentiment de paix éternelle. Seul au monde, au fond du trou, prisonnier de la Terre, et le ciel à l'autre bout. Je m'adossai à la paroi suintante et fraîche du puits afin de profiter du spectacle et de ce moment d'étrange solitude. Un moment que je ne devais qu'à moi seul. A mon entêtement. Personne ne pourrait me le voler. Cet instant était à moi, impartageable, et le monde ne comptait plus. Je n'entendais plus le bruit du monde. Ni sa fureur ni sa haine. Je pouvais m'isoler du courroux du monde par la simple vertu d'un trou qui se remplissait d'eau peu à peu, d'eau pure depuis des lustres. Mes pensées se vidaient de tout leur contenu artificiel et je me fichais bien du monde. Il n'avait qu'à se mettre dans un trou, lui aussi. Je pouvais même creuser et mettre le monde dans ce trou. Qu'il aille se faire foutre, le monde, moi j'étais en paix. Avec moi-même et avec tous. Je ne regrettais pas mes efforts pour seulement 5 litres d'eau par heure. Ils étaient déjà oubliés les efforts, pourtant je vous le dis, hisser des pierres de plus de 150 kg ça vous use le bonhomme. Mais ce moment-là, que je n'avais même pas anticipé, c'était le cadeau du ciel noir piqueté d'étoiles qui me tombait dessus au fond d'un trou. La récompense vraie, chacun son truc pour être heureux. Je puis dire au philosophe : le bonheur est au fond du puits. Ah oui, sans conteste. Le bonheur c'est ce qu'on ne recherche pas. C'est toujours inattendu, à quoi bon le penser. Le bonheur il faut même savoir s'en priver parfois. Lorsque j'ai rebâti la margelle du puits, avec ses pierres d'origine, j'aurais pu redescendre, la nuit... Mais non, c'était fini. Le bonheur habitait là, dans ma tête. Il me suffisait de le revivre. A volonté. J'en ai un peu bavé mais c'est oublié : il me reste à l'esprit un cercle parfait de ciel étoilé, un sentiment de paix universelle qui n'est qu'en moi. Le monde veut des conflits ? Qu'il y aille. Moi la paix, je sais ce que c'est. La paix il faut la vivre, pas en parler. Pas la hurler dans la rue. Ce n'est pas la paix ça, c'est encore la guerre. La paix n'est pas faite de discours, elle est faite de ce que l'on vit en soi, de ce que l'on a gagné sur soi, au gré des circonstances. Et je rêvais que le ciel nocturne posait son bouchon là-haut, sur l'entrée du puits, et me tenait enfermé pour la paix de l'éternité.
Oh ! Réveillez-vous ! L'histoire est finie... mais j'en ai tellement d'autres...

 

L'humour est la respiration du sérieux, 

il signe notre supériorité sur la pesanteur du réel. (Trouvé dans le caniveau).

http://avistodenas.over-blog.com/   

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